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Matière de pensée ou matière à penser ?

Lire c’est penser avec un peu d’aide

(Raymond Abelio)

Un grand mécène particulièrement riche, passionné de philosophie, avait fait construire la plus grande bibliothèque qu’on eut pu imaginer. Il y passait ses journées à classer de magnifiques éditions reliées des plus grandes œuvres de philosophie et de littérature du monde entier. Il y recevait tout ce que le monde de la philosophie comptait de célébrité, commentant toutes les œuvres dans des discussions sans fin avec leurs auteurs, citant des passages entiers de leurs œuvres.

 

Un de ses assistants particulièrement impertinent (ou peut etre très pertinent qui sait ?) lui présenta un jour une sorte de Diogène des temps modernes, n’appartenant à aucune école connue et plutôt peu déférent dans son attitude. Arrivé dans la bibliothèque au lieu de s’extasier poliment comme le faisait chacun des invités, se retourna vers le maitre des lieux et lui dit :

« Mais c’est de la merde !!! »

Un silence glacé s’en suivit et l’hôte ne sut que répondre à cette affirmation bien péremptoire.

Invité à s’expliquer l’impudent continua :

-« vous adorez la merde en ce sens que vous chérissez ce qui reste quand on a fini de penser ». Ces matières-là sont les résidus du travail des boyaux de la tête. C’est ce qui reste quand le travail de digestion de l’expérience est terminé.

Cette matière de pensée n’est pas plus à rejeter que les autres matières. C’est de les porter au pinacle qui en fait perdre leur utilité. Ces matières de penser ne sont que d’excellentes matières à penser. C’est comme une sorte de composte de la pensée. Ce qui compte ce n’est pas la matière mais comment elle aide à grandir la pensée de celui qui s’en empare. Tant que vous êtes occupé à les adorer vous ne leur permettez pas de vous faire penser.

Ce que je vous dis en ce moment est ma matière mentale. Ce qui reste de mon expérience du monde. Ce que les boyaux de ma tête restituent une fois que j’ai fini de digérer ce qui m’était proposé comme expérience. la question n’est pas de savoir si ce que je dis est vrai ou pas mais comment ça dérange vos façons de penser et nourris votre grandissement.

Mais tous ces écrits des grands auteurs, qu’est-ce donc d’autre que le produit de leur conscience ? ce qui reste quand ils ont fini de penser ?

De Proust à Freud, La plupart des théories sont des matières mentales. Comme beaucoup de ces matières elles ont une durée de vie très courte. Et à ce titre n’ont pas plus de valeur que cela.

Matière de pensée ou matière à penser ?

Gotlib et la psychanalyse [1]

 

Lorsque je m’enthousiasme pour n’importe quel discours intelligent, je ne fais qu’être intelligent par procuration. Si je suis enthousiaste c’est parce que j’imagine que si je comprends un discours brillant, c’est donc je suis intelligent. Mais ce qui est brillant est rarement lumineux. Les discours brillants ne font que refléter les discours lumineux.

En ce sens les théories et les discours n’ont pas plus d’importance pour le chercheur d’âme qu’est chacun d’entre nous, que les matières que le bousier récupère pour se nourrir. Les matières des uns font la nourriture des autres.

La pensée de l’autre m’intéresse qu’en ce qu’elle stimule la mienne.

Ce qui m’intéresse dans le discours de l’autre c’est comment il me fait penser. Pas quand je répète ce qu’il dit religieusement, pas quand je fais de sa parole une incantation sacrée. Mais quand je m’en empare pour en faire quelque chose d’autre. Bien sur la matière mentale des autres a comme fonction d’ensemencer la capacité de digérer, le microbiote des boyaux de la tête des plus jeunes, de ceux qui n’ont pas encore commencé leur entrainement à produire leur propre pensée. Mais les matières mentales des ainées n’ont pas d’autres fonction que d’ensemencer leur pensée. En ce sens rien n’est vrai ou rien n’est juste.

En ce sens, chercher si une théorie est juste ou fausse est un moyen d’en faire un totem, une icône. Une théorie est productrice de sens ou elle ne l’est pas. Elle est utile pour rendre intelligible le monde ou elle ne l’est pas. Chercher le vrai de la théorie c’est faire glisser la démarche intellectuelle vers la croyance.

Une bibliothèque telle que la votre, est juste un mausolée. L’adoration des ouvrages les enferme. Quand un livre vous a ensemencé, partagez-le !  vous ne perdrez rien. Parce que ce qui vous a permis de cheminer n’est pas dans le livre mais dans votre rencontre avec le livre. et cette rencontre ne peut s’enfermer dans un mausolée »

 

 

Et ce drôle de Diogène s’en alla sans avoir ouvert le moindre ouvrage ni offert le moindre commentaire philosophique.

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